Le cinéma le Normandie a fait sa « Cannes »

Article : Le cinéma le Normandie a fait sa « Cannes »
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26 mai 2017

Le cinéma le Normandie a fait sa « Cannes »

la mythique caméra d'Edouard Sailly
la mythique caméra d’Edouard Sailly Crédit photo: Rolland Albani

Quoi de plus beau que passer une soirée en mode cinéma après un journée de boulot? mais ma soirée allait être d’un autre cinéma. Je reçois un coup de fil de mon ami Aboubakary Kofia qui m’informe de la tenue d’un vernissage d’un autre genre au cinéma le Normandie en présence du Ministre de la Culture lui-même. Je décide donc malgré la fatigue de me rendre au cinéma le Normandie muni de mon appareil photo afin d’aller vivre cette étrange vernissage.

Il est 18h30 quand j’arrive sur les lieux. La cour du cinéma est simplement décorée, mais riche en symbolique. Mon regard est tout de suite attiré par une caméra d’un autre époque exposée juste à l’entrée : « Mon Dieu ! » Me suis-je écrié ! Je n’en avais jamais vu de si près, j’ai voulu la toucher mais je me suis résigné, l’on ne me permettrait surement pas de toucher la Joconde. Je décide de faire quelques photos et de continuer mon repérage des lieux.

Une silhouette est apparue à l’entrée du cinéma, l’agitation du protocole m’a vite fait comprendre de qui il s’agissait : Monsieur le Ministre de la culture en personne. Il est le premier à arriver sur les lieux et le protocole s’est empressé de l’accompagner et de l’installer dans le bureau du Directeur Général du cinéma. Une brève conversation avec l’une des organisatrices en la personne de Mme Aché Coelo m’a vite fait prendre conscience de l’ampleur et de l’importance de ce qui allait avoir lieu au Normandie. « Nous allons faire notre Cannes » m’a dit Mme Ache Coelo tout en rigolant, là sur le coup je ne me suis pas rendu compte à quel point elle était pourtant sérieuse. Mais ça n’allait pas tarder.

Du jazz et un court métrage pour l’ouverture

Djim Rade, prestation Jazz
Djim Rade sur un air de Jazz
Crédit photo: Rolland Albani

La Cannes s’est ouverte sous un fond de Jazz, une proposition de Djim Rade qui m’a plongé avec beaucoup de plaisir dans les caressantes mélodies d’un Richard Bona le temps d’une soirée hyper privée à Douala. S’en est suivi un court métrage intitulé Ganoune qui a mis en lumière le processus de fabrication d’un foyer multifonction artisanal qui sert autant à la cuisson qu’à la grillade. Je n’aurai jamais imaginé que le processus de fabrication de cet outil était aussi complexe et physique au regard du vil prix auquel il est vendu.

Le coup de clap d’Issa Serge Coelo

Issa Serge Coelo disant son discours d'ouverture
Le mot d’ouverture d’Issa Coelo, DG du cinéma le Normandie
crédit photo: Rolland Albani

Le mot d’ouverture de M. Issa Serge Coelo, directeur général du cinéma le Normandie résonne encore dans ma tête à l’heure où j’écris ces lignes tellement il était cru, vrai et percutant. J’en suis resté ébahi ; je ne m’aurai jamais imaginé prêté autant d’attention à un discours tellement il était différent de ce qu’on nous sert souvent. Plus qu’un discours, c’était le plaidoyer d’un artiste, acteur de la culture qui n’a fait que ressortir le mal-être dont souffrent tous ses frères d’armes. « Nous sommes conscients, plus encore qu’hier, que la culture de l’analphabète, celle du villageois qui vient d’arriver en ville, celle de la peur, c’est cette culture qui nous domine aujourd’hui, qui nous dicte ses codes de conduite, ses codes vestimentaires, son impitoyable besoin de rester dans le moyen âge. (…)Cette culture nous en voulons pas, nous ne l’aimons pas, car elle ne correspond pas aux valeurs de l’homme tchadien (…) nous les artistes nous aimerons parfois avoir à la place d’un chèque en blanc, avoir un peu de considération, de réconfort, du respect. » La messe est dite dans cet extrait ; personnellement ce discours pourrait faire l’objet d’une thèse doctorale tellement il était riche. Après une douche aussi froide, il était temps de passer aux honneurs.

Le vernissage des héros du cinéma tchadien.

Aperçu du mur des réalisateurs
Aperçu du mur des réalisateurs
crédit photo: Rolland Albani
Visite des murs des acteurs de la culture
Le Ministre et sa suite plein d’émotions devant des visages qu’il connait pour la plupart. crédit photo: Rolland Albani

Le Ministre de la culture, en compagnie du DG du Normandie accompagnés des acteurs de la culture présents, sous la présentation de Mme Aché Coelo ont ouvert le vernissage par les cinéastes de la diaspora, où figurait en bonne place Pepiang Toufdy le réalisateur de Daymane Tours. Ensuite ce fut le tour des réalisateurs ; très nombreux pour tous les citer, mais des figures que je connais qui ressortaient du lot : Ismael Ben Chérif, Jansé Urbain, Issa Serge Coelo, Prosper Nadjilem, Aboubakary Kofia, Aché Coelo et bien sûr Mahamat Saleh Haroun, le ministre de la culture lui-même, etc.

Un arrêt obligé devant la mythique caméra du regretté pionnier du cinéma tchadien Edouard Sailly. D’ailleurs, une minute de silence a été respectée en hommage à tous ces hommes et femmes de cinéma qui nous ont quitté à l’instar du populaire Hassan Keiro. Le ministre et à suite ont passé en revu toutes les photos : les acteurs, les techniciens etc. on pouvait lire l’émotion sur le visage du Ministre qui, cinéaste lui-même connaît ou connaissait personnellement et surtout professionnellement la majorité des visages à l’honneur.

Le script du ministre Mahamat Saleh Haroun : primer et encourager les acteurs de la culture, célébrer le cinéma tchadien

Mahamat Saleh Haroun, Ministre de la Culture
Le mot du ministre de la culture.
crédit photo: Rolland Albani

Avant de passer à la dernière partie de notre Cannes, spontanément, le Ministre de la Culture a tenu à dire quelques mots à l’endroit des personnes présentes et plus particulièrement à l’endroit des hommes de culture. Il s’est dit très touché par le mot d’Issa Serge Coelo, et il a tenu même à insister sur l’essence même du rôle de l’artiste ; « (…) n’oubliez pas que les premiers artistes ont commencé par dire ce qui n’allait pas dans leur société, nous sommes là pour ça ; et quand je vois tous ses visages exposés je me dis que nous formons tous une famille (…) ». Mahamat Saleh Haroun a tenu à dire et à rappeler à tous que son fauteuil de ministre n’enlève rien à l’amour qu’il a pour le 7ème art et ce fauteuil ne saurait aucunement l’éloigner de ses frères d’armes, de ses compagnons de la galère. « A partir de cette année, tous les ans, pendant que le tapis rouge, le vrai est déroulé de l’autre côté de la méditerranée à Cannes, nous fêterons le cinéma tchadien, en reconnaissant ses membres. » 

Des attestations de reconnaissance en faveurs des acteurs du cinéma et de l’audiovisuel

Ngakoutou Déborah, recevant sa reconnaissance des mains du Ministre de la Culture
Ngakoutou Déborah, recevant sa reconnaissance. Crédit photo: Rolland Albani
Youssouf Djaoro et Mahamet Saleh Haroun
Youssouf Djaoro recevant sa reconnaissance.
crédit photo: Rolland Albani

Ce fut un moment riche en émotion tellement ce geste, aussi simple qu’il soit a rempli les heureux récipiendaires de joie et d’un sentiment de reconnaissance du travail abattu. Le ministre a tour à tour remis des attestations de reconnaissance à de nombreux acteurs du cinéma tchadien. A chaque fois, instantanément il rendait hommage à ces hommes et femmes avec lesquels il a pour la majorité travaillé. Des comédiens, des comédiennes, des régisseurs, des directeurs photo, des réalisateurs, tous les corps de métiers du 7ème art ont été primés. Des moments de partage, de nostalgie et d’émotions du ministre et de quelques récipiendaires ; Haikal Zakaria Ben Djibrine, Hadje Fatimé, Bichara Haroun, Youssouf Djaoro, Ngatoukou Deborah etc. Des attestations à titre posthume ont aussi été remises aux regrettés Hassan Keiro et Kalala Hissein Djibrine. Des hommes et des femmes que je l’espère je vous ferai découvrir dans d’autres billets.

Que retenir de cette Cannes à la tchadienne ?

Ce que je retiens de cette Cannes est tout d’abord la volonté d’un homme : le ministre de la culture Mahamat Saleh Haroun. Sa volonté de vouloir bouger les lignes, de remettre l’acteur culturel au cœur de la culture. Que son travail soit célébré, valorisé et reconnu. Je retiens le cri de joie poussé par Mme Ngatoukou Déborah avant de monter dans le véhicule qui allait la ramener dans son quotidien : « Enfin ce pays a reconnu que j’ai fait quelque chose pour lui ! ». Voilà une cérémonie modeste, sans strass et paillettes, qui n’a pas coûté aux organisateurs la peau des fesses mais dont la portée est inestimable. Pour une fois qu’un patron d’une république africaine a mis l’homme qu’il faut où il faut, espérons que ce dernier aura assez de temps pour poser les fondations d’une révolution culturelle qui nous fera oublier le coup de clapet que lui a magistralement asséné M. Issa Serge Coelo. Wait and see.

Culturellement votre.

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